Bientôt, la fin du régime des auto-entrepreneurs

(cet article a été modifié le 24 mai  à 19h40)

Mort annoncée des concepteurs indépendants ? L’auto-entreprise, pour ne pas dire l’énergie entrepreneuriale est encore une fois agressée et brimée. Si le gouvernement s’entête et que la loi est votée, le régime social des auto entrepreneurs sera limité à deux ans pour tout indépendant qui bosse en auto-entreprise à titre d’activité principale.
Qui bosse bien, quoi.
Dès la rentrée, ce sera l’agonie d’un système qui permettait vraiment de s’en tirer selon la règle de « si tu te lèves tôt et que tu bosses tu t’en tires, tu réussis ». La fin d’une ouverture qui a sorti les plus créatifs du RSA et de l’assistanat, qui a permis à un tas d’exclus de travailler fort et dur: handicapés, étrangers, pauvres, « vieux » de 50 ans, gens issus des Cités, mères qui élèvent seules des enfants, mais aussi des cadres trop diplômés, des personnes atypiques, etc.

auto entrepreneurs ha ha!Le gouvernement semble vouloir castrer les entrepreneurs trop peu ambitieux. Étouffer l’envie de réussir. Brimer toute volonté de se prendre en main. Cette mesure aura un impact direct sur les prix de nos prestations.

Car non, le travail au noir n’est PAS une alternative. Si les Politiques n’ont plus de sens civique et n’ont plus le respect des travailleurs et entrepreneurs, je ne les suivrai pas dans cette bassesse.

Même si personnellement je savais que j’allais devoir changer de statut, obliger les indépendants à le quitter après seulement deux ans est une aberration, c’est un timing non commercial peu productif, mais aussi une obligation immorale socialement parlant.

Fin du régime après 2 ans ? Voyons le côté comique : mon aventure de conceptrice web, via tikoun.com et lashon.fr sera immédiatement hors la loi.

  • Coupable d’avoir réussi rapidement à faire fonctionner un régime d’auto entreprise,
  • Coupable d’avoir aimé mon métier et de m’y être donné corps et âme.
  • Coupable d’avoir atteint dès la première année le chiffre d’affaire maximal autorisé par la loi.
  • Coupable d’avoir su créer une clientèle de confiance, qui sait que je n’abuse pas du portefeuille de petites sociétés, que je m’adapte aux talents de plus aguerris que moi parmi mes clients. Ce sont pour la plupart de vrais hommes et femmes d’affaire. Ce sont des indépendants, des professions libérales, des TPE et PME, toutes elles aussi en proie aux difficultés de la crise.

esprit d'entreprise

Je suis furieuse. Mais en même temps, sidérée, interloquée. Car il y a aussi l’étonnante réalité. Dans la presse, on peut lire que

près de 900.000 auto-entrepreneurs étaient administrativement actifs fin février 2013, dont près de la moitié ne dégageait pas de chiffre d’affaires, 90% de l’autre moitié réalisant un chiffre d’affaires inférieur au minimum légal », selon des données du ministère de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme.

 

J’apprends donc que je fais partie des 10% de chanceux qui ont réalisé un chiffre d’affaire équivalent au salaire moyen (chance ? bosser 10-12h par jour, oui !). Je ne comprends pas ces 90%. Comment est-ce possible ? Il y a une enquête à faire sur le sujet. Je comprends que 50% des gens se sont engagés dans cette voie sans préparation et donc ne sont pas des entrepreneurs.  Mais les autres ? Pourquoi 50% de ceux qui dégagent un chiffre d’affaire n’ont pas réussi ? Pour moi la question est là, réelle.
La sauce n’a pas pris pour 90% des gens. Pourquoi 90% des auto entrepreneurs Français n’arrivent pas à devenir entrepreneur et saisir cette opportunité ?
Alors je comprends qu’il y a ait un gros ajustement à faire. Mais de là tirer l’herbe sous le pied de 450.000 personnes qui au moins n’émargent plus du chômage, ni du RSA…
Et de là à brider et casser ceux qui  roulent et ont de vraies capacité entrepreneuriales…

Pour info, avant de me lancer j’avais préparé un Business plan, soumis à l’expertise acérée de la Boutique de Gestion de Paris. C’est un accompagnement de 6 mois. Ces gens font un super boulot.
L’esprit d’entreprendre, je ne savais pas que je l’avais avant. C’est la nécessité de sortir du salariat sous-payé, puis du RSA, qui m’a fait sauter dans le train du régime auto-entrepreneur créé en 2009. C’est aussi le plaisir et le gout de l’aventure. J’ai bossé dur pour arriver à un certain rythme de croisière, à une stabilité. Et tous mes collègues aussi, je le sais, je les vois. D’ailleurs leurs blogs professionnels ont le même symptôme que celui-ci, la marque de ceux qui travaillent sans arrêt : nos blogs respectifs ne sont plus alimentés durant des mois, voire en panne. On a plus le temps.

Les entreprises qui me demandent de créer pour elles se sont adaptées au marché, et je me suis adapté à elles. J’ai été payée pour leur faire gagner de l’argent, c’est à ça que sert le plus souvent un site web professionnel. Nous avons été intelligents de nous adapter. Si la loi passe, notre souplesse entrepreneuriale va-t-elle devenir de l’idiotie?

Un demi million de personnes sont sorties de l’assistanat pur et dur en osant l’aventure du travail autonome, et au passage l’État s’est mis 3 milliards d’euros en recettes fiscales et sociales dans les poches. Il leur en faut plus. D’où l’obligation de changer de statut après deux ans, comme si cela ne suffisait pas de ne pouvoir déduire aucun frais et d’être limité au mieux à un salaire moyen, et généralement au SMIG (salaire moyen minimum en France).

Combien gagne un auto-entrepreneur qui « réussit »?

Réponse simple : moins d’un salaire moyen au grand maximum, sans déduction de frais (1988€ grand max.). La fin de notre régime est une histoire de fric. La raison de ce tour de passe-passe est simple à calculer, les chiffres sont transparents puisque les limites de notre statut le sont.

J’ose confier mes chiffres personnels:
En plus de mes impôts, j’ai payé à l’État en charges sociales d’abord environ 5000€ , puis autour de 6000€, la suite arrive et devrait se chiffrer autour de 9000€ (grosso modo hein, je vous passe les détails car si en plus tu commences au milieu d’une année civile, galère à calculer, en tous cas le taux est croissant selon les trimestres depuis le début de l’activité, si tu bénéficies de l’exonération de l’Accre, etc, mais ce qui est clair c’est que tu paies de plus en plus). 9000€ de charges sociales, comme tout auto-entrepreneur qui marche bien, c’est le prix à payer.  En principe. Je dis en principe parce que sur papier on doit cotiser pour 26,8 %, soit un peu moins de 9000€ si le CA atteint le chiffre maximal de 32.600€ permis.  Mais ça ne correspond pas toujours… cherchez l’erreur (URSAFF, tes voies sont impénétrables !!). La fin du régime auto-entrepreneur après 2 ans signifie que nous paierons quasiment le double de nos charges sociales pour le même chiffre d’affaire pour gagner un salaire moyen amputé de moitié, donc retour à la précarité.
Non, je ne laisserai pas faire ça.

Oui, je fais partie des 10% d’auto-entrepreneurs qui ont réussi à générer un salaire. Je ne touche plus depuis longtemps aucune aide de la CAF (caisse d’allocations familiales), ni APL (aide au logement), ni aide sociale (du RSA), rien. Et ça me plait. Parce que je ne dois rien à personne. Mais ce n’est pas magique.  Si j’en suis arrivée là, c’est parce que j’ai tout sacrifié durant deux ans (mis en péril ma vie de famille, mis en en danger ma vie privée, pris aucun congé, aucune sorties, aucun luxe, aucun achat intempestif, pas de voiture, pas d’enfants, etc).

Je suis arrivée à générer un chiffre d’affaire directement au plafond maximal autorisé parce que j’ai bossé 75h par semaine la première année, 60h la deuxième, et 45h la troisième. J’en suis là aujourd’hui, à 45 heures par semaine et je me bats encore pour maintenir ça. Ce n’est pas gagné, jamais. Si la loi passe, je suppose qu’en 2014 je serai contrainte d’avoir changé de statut.  Je serai contrainte de faire plus d’argent, de générer un vrai gros chiffre d’affaire, donc de recommencer à travailler plus. Recommencer à bosser 60h/semaine. Mais pour quel salaire ??? Franchement je ne sais pas.

Faites du fric, pas des enfants !

L’autre truc qui me révolte, c’est la pression qu’on veut nous mettre. Le coup du bolide obligé. Car enfin, -et si cela me suffisait cet actuel salaire moyen ? Et si pour des raisons personnelles je décidais que je gagnais assez, que je peux me suffire du plafond de 32.600 brut/net par an de C.A. ? Par exemple afin de privilégier une qualité de vie et avoir une vraie vie de famille. C’est trop demander après trois ans de travail acharné ? On le dirait. Je ne peux pas. Je ne peux pas parce qu’étant contrainte de changer de statut, je serai obligée de prendre un comptable pour certaines choses, donc de dépenser environ 5000€ par an avant même de générer de l’argent. Je serai contrainte de passer à la vitesse supérieure en matière de rentrées d’argent.

En clair, si la loi m’oblige à changer de statut et sortir du régime d’auto-entrepreneur, c’est retour à la case départ : il faut trouver le moyen d’être plus performant et être capable de générer plus qu’un salaire moyen, ou bien accepter de revenir à la précarité, voire aux aides sociales pour ceux qui étaient déjà au salaire minimum comme auto-entrepreneurs.  Je ne peux pas prétendre vivre en me contentant d’un salaire moyen, en payant gentiment mes charges sociales et mes impôts.  Autrement dit, c’est un gouvernement de gauche qui veut me contraindre à devenir une machine à fric au détriment d’une vie de famille.

Tikoun.com et lashon.fr vont résister et continuer. Mais c’est parce que j’ai vu ce vent pourri venir il y a un an. Parce que j’ai pensé et prévu le pire :

  • se délocaliser, c’est-à-dire m’expatrier et payer mes charges sociales ailleurs ?
  • changer de statut et faire payer mes clients plus cher pour la même prestation ?  (allons-donc, ce n’est pas viable)
  • n’avoir plus que de gros clients (qui eux se fichent bien de la crise en ce qui concerne des prestataires de mon calibre), parce que les gros budgets sont inchangés à partir d’une certaine somme, ceci en lieu et place de mon panel actuel qui réunit des grosses sociétés, des petites, des auto-entrepreneurs, des particuliers aussi parfois.

Avant que cette maudite loi ne passe, je vais continuer à proposer une offre adaptée à tout le monde et je changerai encore ma façon de travailler, je chercherai encore la quadrature du cercle. Restons inventifs.
Il n’empêche que taper sur ce régime va briser le pouvoir d’achat des classes moyennes qui ne pourront plus se payer nos services. Et moi non plus, je n’aurai plus les moyens de demander à l’artisan du coin de me fabriquer un meuble, par exemple. Je n’aurai plus les moyens de continuer à privilégier des professions libérales, la production locale, des artisans, des artistes, des gens qui bossent dur pour offrir tout leur talent honnêtement.
Préférons donc ce que préconise Sylvia Pinel et le gouvernement de François Hollande: le supermarché, le multinational, les grosses boites, l’assistanat, le travail au noir. Bravo !

L’esprit d’entreprendre peut-il mourir ? Vous, peut être, mais pas moi ! S’il le faut, j’irai ailleurs pour continuer.

Merci, chères valeurs de Gauche.

Ressources et liens conseillés :

Calcul concret du salaire d’un futur auto-entrepreneur

Prévoyez vos charges et trésorerie !

Pour ceux qui se lancent ou qui cherchent des réponses à ce que vous pourriez gagner, le calcul est simple. Si vous exercez une activité de prestations de services, vous pouvez générer un chiffre d’affaire de max 32.600€ (34.600€ avant d’être exclu). Soit un salaire brut de 2716€. Comptez environ 9000€ de cotisations sociales à payer. Il vous restera environ 23.863€. Soit 1988€ mensuel. Il faut soustraire les frais réels que vous allez dépenser pour pouvoir exercer votre activité (frais que vous ne pouvez pas déduire). Divisez le montant total par douze pour obtenir votre entrée d’argent. Ce n’est pas encore votre salaire, parce que vous devez impérativement économiser pour constituer une trésorerie. Il faut ponctionner volontairement (si vous bénéficiez d’une exonération de taxe comme coup de pouce, la première année vous pourrez prétendre à 2400€ mensuel, mais cette mesure risque de ne pas perdurer…). Bref, 1988 € mensuel, moins les frais à dépenser, moins une économie pour trésorerie, moins les impôts généraux…. Moralité, essayez plutôt de vendre des trucs comme A.E. durant deux ans, encore une fois le commerce paie mieux que la prestation de service…

Nota Bene : si vous avez deux minutes et que vous voulez rire, lisez donc un des tout premier billet de ce blog. Il en dit long sur la mentalité en France. Pour rappel, quand j’ai fait, il y a 4 ans, un bilan des compétences, c’était pour apprendre de ne surtout pas me lancer dans le Web et le développement informatique, que j’allais rater, que ce n’était pas viable. Et cette expertise a coûté 3500 euro à l’État, payé par le contribuable.

Lire Si Actemploi vous dit que vous êtes inutile

à suivre…